Lettre du 7 septembre 1755 (de Toulon) : « Me voilà enfin à Marseille, cette ville où j’ai passé mes premières années, et que j’ai revue avec tant de plaisir ; cette ville où j’ai passé huit jours à mettre dans de petits morceaux de papiers les superbes médailles du pauvre Cary, / cette ville enfin, où j’ai acquis la médaille en or de Vetranio, qu’avait l’abbé Boule. Oui, mon cher comte, je l’ai, je la tiens, et je suis moins flatté encore de l’avoir acquise, que d’avoir triomphé de l’obstination d’un homme qui, dans l’espace de trente ans, l’avait refusée aux antiquaires de toutes les têtes couronnées. Cette négociation a duré presqu’une semaine entière. Les deux premiers jours, j’avais employé les termes les plus touchants, les plus persuasifs, et la vue d’une bourse de Louis, encore plus persuasive ; mais rien ne pouvait adoucir le tigre. Nous nous quittâmes assez froidement. Une idée lumineuse me passa dans la tête : je la lui / fis proposer en secret. Je vis cet homme dur, à mes pieds, me supplier d’accepter la médaille, et me laisser le maître des conditions. Non, jamais négociation n’a été menée plus heureusement. J’ai envie de vous en écrire l’histoire. Je vous l’enverrai par parties détachées ; mais c’est à deux conditions ; que vous témoignerez quelqu’envie de la lire, et qu’elle ne sera que pour vous. La description du séjour qu’habite l’abbé Boule, et mes conversations avec lui, seraient des morceaux assez singuliers. Cet homme a beaucoup de morceaux d’antiquités, mais il est impossible de les voir. J’en / ai aperçu quelques-uns par terre : c’étaient des figures égyptiennes assez bien conservées. Il a de plus le cabinet de M. Gravier dans des caisses, où chaque pièce se trouve empaquetée. Il est inutile de lui faire la moindre proposition pour les acquérir ; il serait plus aisé de lui arracher la vie ; et c’est ce que fera bientôt sa lésinerie, et la soif insatiable qu’il a de posséder. Vous serez plus heureux du côté de Cary. Il possède quatre belles têtes de marbre, trois de femmes et une d’homme ; un marbre d’un pied de haut, représentant en bas-relief un jeune homme à mi-corps, enveloppé d’une espèce de toge, d’où il fait sortir une de ses mains appuyée sur la poitrine. […] p. 15 : « J’ai interrogé M. Cary sur l’estimation qu’il faisait de ces morceaux. Il a voulu s’en rapporter à moi ; et comme je ne veux m’en rapporter qu’à vous, nous sommes convenus que vous les enverriez chercher, et que vous les estimeriez vous-même. Il faut donc que vous ayez la bonté de lui écrire une lettre de remerciements, de donner ensuite vos ordres, pour qu’on aille prendre chez lui ces restes antiques ; et quand ils vous seront parvenus, de lui dire seulement : votre marché est conclu. Si, au lieu d’une somme en argent, vous pouviez lui faire passer en échange des coquilles ou d’autres morceaux d’histoire naturelle, il l’aimerait mieux « (Sérieys 1801, lettre n° II, p. 11-14).